L’égalité sur invitation

Pierre Bergé, icône de l’égalité façon VIP.
Après la gigantesque démonstration de force des partisans du mariage homosexuel en faveur du changement et du sens de l’histoire, dans une ambiance citoyenne, festive et métissée, Pierre Bergé – propriétaire de la marque déposée Les Valeurs de la République® – a organisé, avec ses modestes moyens, une after au Théâtre du Rond-Point. Oui, le Théâtre du Rond-Point, le repère cosy de tous les maquisards et autres guérilleros des Zeures sombres de notre histoire saison II (2007-2012), le siège officiel de l’insoumission douillette et subventionnée, le haut-lieu du sous-prolétariat germanopratin. Une soirée pour tous certes, mais sur invitation. On est de gauche, pas populiste, tout de même !
VIP de tous pays, unissez-vous !
Grâce aux miracles d’Internet, j’ai pu essayer de suivre cette enthousiaste célébration de l’égalité républicaine et du progrès sociétal. Notons qu’il n’est pas très « République irréprochable » d’organiser un raout en soutien au gouvernement dans un lieu à moitié financé par celui-ci. Mais laissons l’indignation à son concepteur, Stéphane Hessel, et la démocratie à Poutine. Et observons. Que voyons-nous ?
Nous voyons un défilé d’artistes qui semblent tous chanter la même chanson de Vincent Delerm, des représentants « éclairés » de religions obscurantistes déclamant tous la même moraline de seconde zone, s’excusant presque de croire en Dieu, des pointures « courageuses »d’une droite « ouverte sur le monde » et « tolérante », ou encore un texte vigoureux, qui tranche avec l’ambiance maison de retraite qui règne dans la salle, dans lequel Michel Onfray répète une nouvelle fois ses habituelles saillies à l’encontre des « vieilleries monothéistes » et du freudisme.
Et lorsque Bernard Henri-Lévy entre sur la scène et commence à déclamer, toujours aussi prudhommesque, un texte vide de sens, on se demande s’il va avoir l’orgueil de mentionner le travail qu’il a récemment accompli en faveur des droits des homosexuels à travers son soutien aux groupes salafistes dans les pays arabes. Avant une brève, mais très subversive, performance de Valérie Damidot, l’annonce tombe :« Malheureusement, Pascale Clarck ne pourra finalement pas être des nôtres ce soir. » Grosse déception dans la salle.
Nous assistons à une sorte de grande réunion entre personnes d’accord entre elles et tenant à le faire savoir. Mais ce qui est le plus consternant demeure le manque criant d’arguments des pro-mariage gay, qui ne font que s’acharner à crier avec un lyrisme ému et adolescent « égalité ! égalité ! égalité ! », sans s’apercevoir pour autant que l’égalité ne s’opère pas entre couples mais entre individus.
L’égalité des Bisounours
Et même si Laurence Ferrari n’hésite pas à nous rappeler le nom des pays où la peine de mort s’applique encore contre les homosexuels, en France un homosexuel picard a les mêmes droits qu’un hétérosexuel limousin et qu’une Auvergnate noctambule : la République ne reconnaît que des citoyens, pas des orientations sexuelles. À force de chanter si faux ce grand mot d’égalité, ils finiront par en faire perdre totalement le sens et à en dégoûter les Français (pour le reste du monde, BHL s’en chargera). Quand on ne chante pas l’égalité, on récite le catéchisme du Bisounours moyen : « L’amour doit être plus fort que tout », « ce qui compte, c’est l’amour ». Le degré zéro du politiquement banal.
Cette grand-messe était organisée par Pierre Bergé, milliardaire de gauche qui déclare ne pas voir de différence entre « louer son ventre pour faire un enfant et louer ses bras pour travailler à l’usine ». C’est-à-dire d’une gauche ravie que le marché investisse enfin la dernière place forte du sacré, le corps, et qu’il réduise celui-ci à un simple objet de propriété. Il faut être aveugle, ou lecteur des Inrocks, pour ne pas voir ici la preuve ultime de l’alliance objective entre ultra-libéraux et libertariens. Départ en Mai 68, trajet via Pierre Bergé, terminus Milton Friedman.
Tous ces hommes de gauche ont-ils oublié la définition que donnait Rousseau de l’égalité ? « À l’égard de l’égalité, écrit-il, il ne faut pas entendre par ce mot que les degrés de puissance et de richesse soient absolument les mêmes, mais que (…), quant à la richesse, nul citoyen ne soit assez opulent pour pouvoir en acheter un autre, et nul assez pauvre pour être contraint de se vendre. » Un gala progressiste pour l’égalité aurait plutôt dû être organisé pour dénoncer Pierre Bergé et ses propos. Car, ce qui est véritablement obscurantiste c’est de comparer la femme à une usine, et l’enfant à un bien de consommation.
Comment était-il possible de ne pas s’endormir devant ses minutes interminables d’un irénisme pesant ? Devant ces sermons tellement de fois entendus que psalmodiaient les curés vertueux de l’hédonisme libéral-libertaire ? Devant les mandarins, tantôt ravis, tantôt graves, d’un catéchisme sans saveur et suranné ? Devant ces artistes courageux, engagés contre « l’humus antisémite » (dixit Pierre Bergé) ou« l’homophobie ancestrale » (dixit BHL) des forces de la Réaction ? Décidément, c’est cette France-là qui est ringarde, c’est cette France-là qui s’endort et qui endort. Jean-Michel Ribes se trompe. Les « cervelles gelées dans un passé révolu » ne sont pas celles que l’on croit.