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SAMUEL LE GOFF // BloG Express
Le gouvernement socialiste fait preuve d’un amateurisme absolument incroyable dans la conduite de ses relations avec le Parlement. Cela en est même sidérant et quelque part affligeant. Normalement, les faux-pas du gouvernement devraient me réjouir, puisque je suis dans l’opposition. En fait, je suis inquiet, car à ce point, c’est de l’incompétence, et c’est grave pour le pays.
La saisine du conseil constitutionnel par les sénateurs d’opposition sur le projet de loi sur les emplois d’avenir est un résumé saisissant. Trop occupé par ce qui se passait à l’Assemblée, et notamment par la PPL Brottes, autre sommet d’amateurisme parlementaire (sur le fond et la forme), je n’ai pas remarqué à quel point le gouvernement s’était assis sur la procédure parlementaire au Sénat.
Le texte sur le logement a été inscrit à l’ordre du jour du Sénat lors de la conférence des présidents du 5 septembre, à 15h, le décret portant convocation de la session extraordinaire étant paru le matin même au JO. Premier cafouillage, le projet de loi sur la régulation économique outre-mer est inscrit à l’ordre du jour du Sénat lors de cette même conférence des présidents, alors même qu’il ne figurait pas sur le décret de convocation de la session extraordinaire. Il a fallu, en catastrophe, prendre un décret rectificatif pour y rajouter ce projet de loi, car l’ordre du jour d’une session extraordinaire est strictement limité aux textes énumérés dans le décret de convocation.
Autre détail qui fait mal, le gouvernement a inscrit le texte à l’ordre du jour du 11 septembre, en explosant ainsi le délai de 6 semaines, obligatoire entre le dépôt et l’examen d’un texte, sauf si la procédure accélérée est engagée. Or, celle-ci n’a été officiellement engagée que le 5 septembre, à 19 heures, alors que le conférence des présidents s’est déjà réunie à 15h. Ce n’est pas sérieux et cela montre un mépris complet des formalités, mais ce n’est rien à coté de ce qui suit…
Le projet de loi sur le logement ayant été délibéré le matin même en conseil des ministres, il a été déposé, étude d’impact compris, à 16 heures, soit après la réunion de la conférence des présidents qui a inscrit le texte à l’ordre du jour. Voici le début de l’alinéa 4 de l’article 39 de la Constitution : « Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues« . La conférence des présidents du Sénat qui a inscrit le projet de loi sur le logement à l’ordre du jour n’a pas pu constater que sa présentation répondait bien aux exigences de la loi organique, puisqu’elle n’avait ni le texte du projet de loi, ni l’étude d’impact. On a ici un manquement évident à une règle inscrite dans la Constitution…
Le texte ayant été inscrit pour la séance du 11 septembre 2012, la commission n’a pu se réunir en temps utiles. Elle ne s’est réunie que le 11 septembre au matin, pour examiner les amendements du rapporteur et adopter formellement le texte. Ce n’est que dans l’après midi, lors d’une deuxième réunion que l’on a examiné les amendements d’autres sénateurs (ce que l’on appelle à l’Assemblée nationale les réunions « article 88″). L’article 44 de la Constitution affirme très clairement que les membres du Parlement ont le droit d’amendement, et qu’il s’exerce, en séance ou en commission. Sur ce texte, les sénateurs n’ont pas été mis en mesure d’exercer leur droit d’amendement en commission, puisque seuls des amendements du rapporteur ont été examinés lors de la réunion de la commission qui a approuvé le texte, sans qu’il y ait eu de texte de la commission. Aucun délai de dépôt des amendements en commission n’a été fixé, alors qu’il aurait été matériellement possible de le faire, et que l’après midi même, des amendements ont été examinés en vue de la séance publique. Le choix de ne pas faire examiner le texte en commission, et de faire examiner le texte du gouvernement en séance publique est une violation de la Constitution…
Au mois de juillet dernier, le gouvernement avait déjà fait preuve d’une grande désinvolture avec les règles constitutionnelles relatives aux travaux parlementaires. Il n’avait pas organisé de séance de questions au gouvernement la première semaine de la session extraordinaire. Cela peut apparaitre bénin, mais le texte de la Constitution pose clairement la règle dans le dernier alinéa de l’article 48 « Une séance par semaine au moins, y compris pendant les sessions extraordinaires prévues à l’article 29, est réservée par priorité aux questions des membres du Parlement et aux réponses du Gouvernement. ». Le conseil constitutionnel avait alors délivré un avertissement sans frais au gouvernement : tout texte voté pendant une semaine où il n’y aurait pas eu de questions au gouvernement serait invalidé. Il se trouve qu’aucun texte n’ayant été voté pendant la première semaine de la session extraordinaire de juillet, cela n’a pas eu de conséquence concrète.
Après un premier avertissement de ce genre, on fait quand même un peu attention au respect des règles formelles inscrites dans le texte même de la Constitution. On ne réitère surtout pas l’erreur à la première occasion, tout juste un mois après la décision du Conseil constitutionnel.
Je vois mal comment le Conseil constitutionnel pourrait ne pas censurer ce projet de loi…