C’est officiel, l’essayiste et intellectuel Alain Finkielkraut a été élu à l’Académie française le 10 avril dés le premier tour par 16 voix sur 28 en remplacement de Félicien Marceau. L’auteur de L’ingratitude et L’identité malheureuse devient donc un immortel. Disons le tout net : cette élection à l’une des plus anciennes et prestigieuses institutions de France (même si cette dernière a sensiblement perdu de son aura ces derniers temps) est une excellente nouvelle et à plusieurs titres.
D’abord, cette élection fut fortement contestée du fait du parcours et des positions de son auteur. Dés l’annonce de sa candidature, les critiques ont fusé : « trop clivant », « trop polémique », « réactionnaire », comme si aucune personnalité réactionnaire ou polémique n’était entrée à l’Académie, ne serait-ce que, précisément le propre prédécesseur de Finkielkraut, Félicien Marceau du fait de ses positions sous l’occupation.
On a même entendu dire que son entrée à l’Académie française serait celle du Front national. Outre l’inanité de telles accusations (Finkielkraut a toujours rappelé son opposition au Front national), il me semble que l’on n’a jamais reproché à Valery Giscard d’Estaing ou Simone Veil, également académiciens, de faire entrer l’UDF à l’Académie (et pourtant, Dieu sait s’il existe des motifs de reproches à l’UDF !).
Précisions que ces attaques demeurent le fait d’académiciens anonymes, qui refusent d’assumer ouvertement leur position, au contraire de ses soutiens. Ceux-ci, parmi lesquels on trouva notamment Max Gallo, Pierre Nora, Hélène Carrère d’Encausse ou même le si consensuel Jean d’Ormesson (de manière très classe, il faut le dire), ont mis en avant son « profil idéal » et son caractère d’ « intellectuel incontournable ».
Il y avait tout de même sensiblement plus de construction argumentaire et on peut affirmer, sans se mouiller, que ces personnalités ont une réputation et un talent bien établi, difficilement contestable. Il y a donc eu une nouvelle polémique, un clash dans notre pays qui cultive actuellement le paradoxe d’un conscensus politiquement convenable et de la polémique récurrente faite à partir de rien. En clair, il fut reproché à Alain Finkielkraut de ne pas être dans la norme, de ne pas dire ce qui est convenable de dire, de ne pas adhérer à l’idéologie au pouvoir. De ce fait, il a suscité une hostilité de principe, avant même que sa candidature soit confirmée. Et pour des raisons plus que douteuses. Rien que pour cela, le succès de son élection est une excellente chose et une victoire sur la démagogie, la lâcheté et le mensonge.
Ensuite, depuis bien longtemps, Alain Finkielkraut a développé une pensée et un raisonnement qui sortent largement des sentiers battus et que l’on ne peut résumer à aucune case ou grille de lecture actuelle, quoi qu’en disent ses détracteurs. Il est surtout connu pour pourfendre la modernité, l’affaissement désastreux du niveau de l’éducation, le caractère mensonger et totalitaire de l’antiracisme et de l’antifascisme, les dangers du communautarisme exacerbé issu de l’immigration de masse et de l’islam conquérant.
Pour autant, il se réclame toujours d’un humanisme bienveillant, des valeurs de la démocratie et de la république, de la laicité. Il fustige frontalement la gauche d’aujourd’hui mais condamne également le Front National. Il critique l’instrumentalisation de l’antisémitisme ou la récupération du drame de la Shoah mais dénonce tout aussi vigoureusement l’anatisémitisme contemporain et la haine d’Israel qui finissent, bien souvent, par se confondre.
De ce fait, il se trouve attaqué aussi par les pseudo-penseurs gauchistes comme Denis Sieffert, Michel Wieviorka ou Alain Badiou, que par des activistes pseudo-droitards tels Frédéric Chatillon ou Alain Soral, sans parler des serviteurs zélés du néo-islamisme comme Ramadan ou Dieudonné. En clair, tous les idéologues au rabais thuriféraires d’idéologies totalitaires et déshumanisantes. Leur infliger à tous un camouflet en faisant élire Alain Finkielkraut relevait donc de l’autre de la nécessité absolue.
Enfin, cela peut paraitre surprenant de devoir le rappeler au vu des enjeux idéologiques précités, mais pour être élu à l’Académie française, il faut avoir écrit. Et bien de préférence. Et de ce côté, on peut dire sans se mouiller qu’Alain Finkielkraut remplit totalement les conditions. Il suffit de lire ne serait-ce qu’un passage de son Ingratitude ou sa Défaite de la pensée pour s’en convaincre. Son style est profond sans être obscur, élégant sans être pédant, pédagogue sans être ennuyeux, restitue parfaitement les enjeux théoriques de notre époque tout en sachant se rattacher au concret et au réel. Bref, Alain Finkielkraut n’est pas seulement un bon penseur, c’est aussi un bon écrivain, probablement bien supérieur à certains actuels pensionnaires de la vénérable institution créée par Richelieu. Dont Giscard et Simone Veil.
Ainsi, Alain Finkielkraut a fait preuve d’un esprit indépendant, anticonformiste et difficilement récupérable. Il fait également l’objet d’oppositions cinglantes, sectaires et futiles. Il dispose également d’un style et d’un talent littéraire de haute volée. Il avait donc toutes les qualités requises pour entrer à l’Académie française et son élection rapide est une issue logique, presque normale. Comme une victoire de l’intelligence sur la bêtise, de la vertu sur le vice, de la beauté sur la laideur, du réel sur le théorique.
François Préval